Paris et le désert français : un mythe politique

Cette semaine, personne ne semble avoir remarqué que dans son discours de politique générale, le nouveau Premier Ministre français a fait référence à un ouvrage qu’il n’a sans doute pas lu et qui a inspiré également à peu près tous les gouvernements précédents depuis 80 ans : « Enfin, la question d'un territoire français plus équilibré. En 1947 paraissait un livre qui a fait beaucoup de bruit à l'époque qui s'appelait "Paris et le désert français". Je crois qu'aujourd'hui, il y a Paris, les grandes métropoles et le désert français avec un gouffre à chaque étape. » (F. Bayrou, prononcé le 14 Janvier 2025 à l’Assemblée Nationale). Ce texte de Jean-François Gravier, géographe, royaliste puis pétainiste notoire, a inspiré également des générations de hauts fonctionnaires français d’après guerre, jusque dans les années 2000, comme le reconnaissait le grand aménageur Paul Delouvrier : « A cette époque, nous étions tous des croyants dans les théories de Gravier, c’est-à-dire convaincus que Paris, en particulier dans le 19ème siècle, avait dévoré le reste de la France ». (Le Monde, 19/02/1997) Certains passages racistes ou pro dictature ont été supprimé des rééditions. La thèse essentielle défendue est qu’il faut désavantager Paris au profit de la province. C’est un concentré d’urbaphobie, de haine idéologique des grandes villes, bien résumé dans cet extrait :   « Un monstre urbain comme Paris mène à une perte économique trois fois plus grande que l’alcoolisme. Tous les efforts pour développer la France seraient condamnés si les grandes villes devaient continuer de croitre au détriment du reste du pays, si Paris devait continuer à dévorer la substance de la Nation. » (Paris et le Désert français, 1947) En 2025, alors que l’on sait parfaitement que tout est faux dans ce discours, que ce sont les grandes villes, partout dans le monde, qui produisent et de loin le plus de richesse (1/3 du PIB de la France en Ile-de-France, pour 1/5 de la population. Au niveau mondial : WDR World Bank 2009), qu’en France c’est l’Ile-de-France qui subventionne le reste du territoire, et qu’il n’y a de désert et d’exode rural que dans les idéologies réactionnaires (les plus faibles densités en France sont bien supérieures à celles des plaines céréalières aux Etats-Unis, où personne n’aurait l’idée de parler de déserts), il serait temps de passer, enfin et clairement, à un autre type de discours politique sur le territoire: - basé sur les données et la reconnaissance du rôle véritable des villes, chacune à son niveau de l’armature urbaine, dans la production des richesses et de l’innovation. Et cherchant donc à faciliter, plutôt que contraindre, cette fonction de moteur économique. - mettant en évidence, plutôt qu’en continuant de cacher, les considérables transferts financiers réalisés par l’Etat qui, comme le montre l’économiste Laurent Davezies, redistribue sur l’ensemble du territoire la richesse produite par la région capitale et les grandes villes.